Falsification d’un chèque : charge de la preuve et responsabilités encourues en cas de disparition de l’original

I/ Rappels

Devoir de non-ingérence VS obligation de vigilance

Tout établissement bancaire doit s’abstenir d’intervenir et d’interférer dans les affaires de ses clients. Tout établissement bancaire n’en reste pas moins tenu à une obligation de vigilance.
Lorsque la responsabilité d’une banque est recherchée pour avoir manqué à cette obligation, notamment après encaissement d’un chèque falsifié, elle doit alors rapporter la preuve que ce chèque n’était pas affecté d’une anomalie apparente.

Qu’est-ce qu’une anomalie apparente ?

Il s’agit de l’anomalie qui ne doit pas échapper au banquier normalement prudent ou diligent. En matière de chèque, il s’agira le plus souvent d’un élément matériel visible ou objectivement constatable constitutif de falsification. Par exemple, constitue une anomalie apparente une signature non conforme à la signature de l’émetteur du chèque.

 

II/ Régime de la preuve

Dans le cas de l’encaissement d’un chèque falsifié, il appartient en premier lieu à l’émetteur du chèque d’établir l’existence de cette falsification. Il appartient ensuite à la banque tirée qui conteste sa responsabilité de prouver que le chèque n’était pas affecté d’une anomalie apparente lors de l’encaissement.

Que se passe-t-il lorsque la banque tirée ne peut pas représenter l’original du chèque et qu’une falsification par grattage du nom du bénéficiaire est invoquée par l’émetteur ?
Comment s’assurer a posteriori de l’existence ou non d’une telle anomalie et qui doit en supporter le risque ?

 

III/ L’apport de l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 9 novembre 2022

Récemment, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à connaître de ces questions et s’est prononcée tant sur la charge de la preuve de l’anomalie apparente que sur les responsabilités encourues lorsque le procédé de falsification du chèque est seulement présumé être intervenu par grattage du nom du bénéficiaire, lequel grattage était imperceptible sur la simple photocopie en noir et blanc du titre.
(Cass. Com., 9 novembre 2022, n°20-20.031)

 

IV/ Les faits

Une société commerciale cliente de la banque HSBC émet un chèque à l’ordre de « LPB immobilier conseil ». Le chèque est encaissé non pas par la société initialement bénéficiaire, mais par une société tierce, la société BATUS, laquelle est titulaire d’un compte ouvert dans les livres du CIC.

La société émettrice du chèque assigne la banque tirée (HSBC), lui reprochant d’avoir manqué de vigilance. La banque tirée appelle quant à elle en garantie la banque présentatrice (CIC), dont la cliente est la société tierce qui a effectivement encaissé le chèque.

Les juges du fond analysent les pièces et retiennent la thèse de la société émettrice : le nom du bénéficiaire initial aurait été supprimé par grattage afin d’y substituer le nom de la société tierce à l’origine de la falsification. Dans les faits, ce grattage ne pouvait être que présumé puisqu’aucune des parties n’étaient en mesure de communiquer l’original du chèque et qu’aucune autre thèse n’était véritablement admissible.

En pareille situation, la Cour d’appel de PARIS considère qu’« il appartient aux établissements bancaires d’assumer le risque lié au processus de l’image-chèque, créé dans leur seul intérêt. »

Finalement, la banque HSBC est condamnée à réparer le préjudice subi par la société émettrice du chèque pour avoir manqué à son obligation de vigilance. Le CIC est également condamné à garantir partiellement la condamnation prononcée à l’encontre de la banque HSBC.

Les deux établissements bancaires décident de se pourvoir en cassation et font valoir qu’ils n’étaient tenus de contrôler que la régularité formelle du chèque afin de détecter les seules anomalies apparentes affectant éventuellement le titre. Ils invoquent tous deux les dispositions de l’article 1353 code civil et de l’article 9 du code de procédure civile pour considérer qu’aucune anomalie n’avait pu être matériellement constatée sur le chèque litigieux qui avait été détruit entre temps.

Selon les banques, il n’y avait donc pas lieu de présumer l’existence d’une anomalie apparente dont la preuve n’était pas matériellement rapportée.

 

V/ Quelques précisions utiles

En l’occurrence, il était impossible pour les parties et les juges saisis de l’affaire de constater la présence ou l’absence d’une quelconque anomalie.

Seule la photocopie en noir et blanc était produite aux débats, laquelle était de mauvaise qualité et ne permettait pas d’observer le procédé qui aurait permis d’opérer la substitution de bénéficiaire sur le chèque litigieux.

En d’autres termes, il n’existait aucune trace visible du présumé grattage.

 

VI/ Décision de la Cour de cassation

Pour la chambre commerciale, qui vise elle-même les articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, la société tirée (HSBC) ne parvient pas à rapporter la preuve que le chèque n’était pas affecté d’une anomalie apparente lorsqu’il a été remis à l’encaissement.

Elle ne prouve dès lors pas avoir satisfait à son obligation de vigilance.

Le pourvoi est par conséquent rejeté et la banque HSBC est définitivement condamnée à réparer le préjudice subi par la société émettrice du chèque falsifié.

En revanche, la chambre commerciale décide de casser l’arrêt d’appel en ce qu’il a condamné la banque présentatrice à garantir partiellement la condamnation de la banque tirée.

L’affaire devrait être prochainement réexaminée par la cour d’appel de PARIS, autrement composée, pour permettre au CIC de préciser les conditions dans lesquelles il a permis à la société tierce à l’origine des malversations d’ouvrir un compte bancaire et ainsi déterminer si le CIC doit garantir ou non la condamnation de la banque HSBC.

 

VII/ Conclusion

Si la loi n’impose pas aux banques de conserver pendant 5 ans l’original de chacun des chèques qu’elles encaissent, une copie numérique étant en principe suffisante, la prudence voudrait qu’elles se montrent particulièrement vigilantes sur ce point afin d’anticiper toute difficulté liée à la charge de la preuve de l’existence d’une anomalie apparente.

 

Caroline Vuillaume