La contestation de l’avis d’inaptitude du salarié
Les dispositions relatives à la contestation modifiées par le législateur
Les règles relatives à l’inaptitude du salarié évoluent régulièrement. C’est ainsi que le législateur a modifié à plusieurs reprises, en moins de cinq années, les dispositions relatives à la contestation de l’avis d’aptitude ou d’inaptitude rendu par le médecin du travail. Celles-ci se trouvent à l’article L. 4624-7 du Code du travail, lequel donne compétence au Conseil de prud’hommes pour statuer, « selon la procédure accélérée au fond », sur « une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale (…) ». Si cette juridiction est, sur le plan juridictionnel, compétente, elle ne possède pas, le plus souvent le savoir nécessaire pour trancher un tel litige. Aussi est-il prévu qu’elle puisse ordonner une mesure d’instruction, solliciter « un médecin inspecteur du travail territorialement compétent » chargé de l’éclairer sur les questions médicales, ce professionnel, pouvant, le cas échéant, s’adjoindre le concours d’un tiers. Ce dispositif légal a été critiqué car inapproprié, mais il est à ce jour applicable.
Par ailleurs, le jugement du Conseil de prud’hommes se « substitue à l’avis, aux propositions, aux conclusions écrites ou indication contestés ». Par exemple, si un conseil estime le salarié apte, contrairement au médecin du travail, alors sa décision d’aptitude « se substitue » à l’avis divergent du médecin du travail. Pour autant, il n’est pas certain, qu’en pratique, ladite juridiction entende résister à la position du praticien. Dans le prolongement, il n’est pas certain que le « médecin inspecteur du travail » critique l’analyse d’un collègue, médecin du travail.
Ce qui pose la question de la pertinence des modalités de contestation, et de la stratégie juridico-judiciaire à adopter. D’autant plus que certains avis étonnent : songeons à « l’inaptitude au poste du travail sous réserve d’un télétravail à 100% (mentionnée par le médecin du travail sur le CERFA et réitérée par courrier à la suite d’une demande de précision de l’employeur) », ce dernier étant concrètement impossible au regard des différentes missions du salarié !
La Cour de cassation contribue à l’évolution des règles
Ainsi, un employeur a saisi le juge parce que le médecin du travail, qui a déclaré inapte un salarié, n’avait pas procédé à une étude de poste. Il a soulevé l’illégalité de l’avis fondée sur l’article R. 4624-42 du Code du travail, qui exige du praticien qu’il réalise un « examen médical, accompagné, le cas échéant, d’examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d’accompagnement, d’adaptation (…) » ainsi « qu’une étude du poste et des conditions de travail dans l’établissement (…) ». Il n’est cependant pas suivi par les juges (Cass. soc., 7 déc. 2022, n° 21-17927).
Selon la Cour de cassation, « la cour d’appel a pu déduire que l’absence d’études récentes était sans influence sur les conclusions du médecin du travail qui concernaient une période postérieure à l’arrêt de travail et décider que le salarié était inapte au poste d’agent d’entretien ainsi qu’à tout autre poste au sein de la société ». Pour mieux saisir cet arrêt, l’on souligne un point important visé dans le pourvoi présenté devant la Cour de cassation : il a été considéré que « l’inaptitude ne résultait pas des conditions de travail mais d’une dégradation des relations entre les parties pendant l’arrêt de travail et des conséquences psychiques qui en sont résultées ». Autrement dit, a été mise en avant l’origine, la cause de l’inaptitude (les relations détériorées entre l’employeur et le salarié), partant, l’étude de poste n’est pas apparue utile. A notre sens, c’est seulement cette circonstance qui a servi de guide à la solution. La Cour admet que l’on puisse écarter une formalité – l’étude de poste et de conditions de travail – parce que celle-ci, dans la situation évoquée (dimension relationnelle difficile, et prouvée comme telle), est superflue. En revanche, dès lors que l’inutilité de cette formalité n’ait pas établie, alors elle doit être respectée.
Il ressort, enfin, de cet arrêt et d’un autre rendu le même jour (cass. soc., 7 déc. 2022, n° 21-23.662) que la contestation judiciaire, par la voie de la procédure accélérée au fond, concerne non seulement les éléments purement médicaux, mais aussi la réalisation (ou non) de l’étude de poste et des conditions de travail. Cette conclusion ne relevait pas de l’évidence à la lecture de l’article L. 4624-7 du Code du travail. Une interprétation extensive – dépassant la stricte lettre du texte – a donc été privilégiée. Elle emporte une conséquence non négligeable : la saisine du juge doit intervenir dans le délai de quinze jours à compter de la notification (C. trav., art. R4624-45). Une fois ce délai expiré, la critique portant notamment sur le défaut d’étude de poste n’est plus possible. On peut lire, en effet, que : « l’avis émis par le médecin du travail (…) peut faire l’objet tant de la part de l’employeur que du salarié d’une contestation devant (…) le conseil de prud’hommes qui peut examiner les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l’avis. En l’absence d’un tel recours, cet avis s’impose aux parties. » (cass. soc., 7 déc. 2022, n° 21-23.662 ; en ce sens également, cass, soc., avis n° 15-002, 17 mars 2021, n° 21-70.002).
David Jacotot
Professeur de droit à l’Université de Bourgogne
Conseil scientifique Légi Conseils