Les liaisons dangereuses qui font perdre à l’association le bénéfice de ses exonérations fiscales : le cas des relations privilégiées

Est qualifiée de privilégiée, la relation qu’entretient une association avec une entité marchande permettant à cette dernière d’en retirer un avantage concurrentiel, soit par un surcroît de recettes, soit par une économie de charges.

Conséquences diaboliques d’une telle relation privilégiée :

  • L’association perd ses exonérations fiscales et devient assujettie aux impôts commerciaux (IS, TVA, CET)
  • L’association ne peut plus recourir au mécénat.

Pour autant, toute association qui exerce des activités au profit du secteur marchand n’entretient pas systématiquement des relations privilégiées.

 

Où placer le curseur dans la relation ?

Pour bénéficier des exonérations aux impôts commerciaux, les associations doivent, entre autres conditions, avoir une gestion désintéressée (gestion et administration bénévoles et absence de partage des bénéfices ou de tous actifs associatifs entre les membres).

Mais le caractère désintéressé de la gestion fait défaut dans deux situations :

  • Lorsqu’il existe une confusion d’intérêt entre l’association et une entité poursuivant un objet commercial

C’est le cas en présence d’une société exploitée par le dirigeant de l’association qui lui procure des avantages.

A ce titre, nous citons l’exemple d’une association qui organisait des réunions entre ses adhérents et les clients d’une agence matrimoniale. Or, ces deux organismes étaient dirigés par la même personne et l’association payait les campagnes publicitaires de la société matrimoniale.[1]

  • Lorsque l’association, même si elle ne cherche pas la réalisation de profits pour elle-même ou pour son dirigeant, facilite l’exploitation commerciale de ses membres

L’association doit prendre garde à ne pas permettre, directement ou indirectement, aux entreprises commerciales de réaliser une économie de dépenses, un surcroît de recettes ou de bénéficier de meilleures conditions de fonctionnement.

Comme bien souvent en fiscalité des associations, les situations doivent s’apprécier au cas par cas. Le Conseil d’État fournit plusieurs exemples de relations privilégiées entre associations et secteur marchand :

  • Les associations qui gèrent des services médicaux du travail interentreprises : ces associations ont pour objet de fournir un service globalisé de médecine du travail à leurs adhérents employeurs, ces derniers payant une redevance pour les services rendus.[2]
  • Le syndicat créé par des industriels, fabricants de pâtes alimentaires qui organise des journées d’information pour présenter les qualités nutritionnelles des pâtes notamment aux responsables achat de diverses collectivités publiques. Cela constitue une forme de publicité collective prolongeant l’activité économique des adhérents du syndicat.[3]
  • Les « couveuses » ou « incubateurs » d’entreprises qui permettent à des porteurs de projets de créer une entreprise en vue de valoriser leurs recherches ou encore de déposer des brevets.[4]
  • Les groupements de commerçants sous forme associative qui assurent la défense des intérêts matériels et moraux des commerçants qui en sont membres et organisent des actions collectives d’animation du commerce local.[5]

Dans une situation comme dans l’autre, la doctrine administrative préconise d’apprécier l’existence d’une relation privilégiée avec les entreprises au regard du fonctionnement global de l’association.

 

Elargissement récent de la notion de relations privilégiées : l’affaire du Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy

Dans les hypothèses « traditionnelles » ci-avant énoncées, c’était l’association qui œuvrait activement en qualité de prestataire, au bénéfice de ses membres commerçants.

Or, récemment, le Conseil d’Etat a retenu l’existence de relations privilégiées dans la configuration inverse : les membres commerçants agissant en qualité de prestataires de service de l’association.

A la barre : l’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy contre le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

L’activité de l’association en cause : l’initiation au ski pour les enfants à partir de 3 ans.

Le mode de réalisation de l’activité : l’association faisait appel, contre rémunération, à des moniteurs de ski, donc à des professionnels exerçant une activité commerciale dans le but de dispenser lesdits cours de ski.

Le problème : les moniteurs de ski sollicités par l’association étaient, en parallèle également membres de l’association.

Circonstance supplémentaire : l’initiation au ski des jeunes enfants représentait 70% des recettes de l’association et constituait donc sa principale activité.

Considérant qu’il existait des relations privilégiées entre l’association et ses membres, l’administration fiscale a réclamé à l’association un rappel de TVA au titre d’une saison entière ainsi que les pénalités correspondantes.

Le Conseil d’Etat a été saisi de la question.

L’association s’est défendue en soutenant notamment que les moniteurs de ski n’avaient pas d’intérêt particulier à appartenir à l’association.

Et pour cause, les cours de ski dispensés aux enfants étaient moins rémunérateurs en moyenne pour les moniteurs que leurs cours particuliers.

L’argument semblait pertinent.

Malheureusement pour le club des Piou-Piou de Valmorel Doucy, le Conseil d’Etat a jugé en faveur de l’administration fiscale.

Il a retenu l’existence de relations privilégiées entre l’association et ses membres, moniteurs de ski exerçant à titre commercial, compte tenu du fait que l’initiation au ski représentait l’activité principale de l’association.

La décision est critiquable dans la mesure où l’objet de l’association ne visait pas véritablement à permettre un surcroît de recettes ou une économie de charges aux moniteurs de ski.

À notre sens, les membres d’une association qui tirent une part importante de leurs recettes des activités générées par l’association bénéficient effectivement d’un avantage concurrentiel.

Mais cela n’était pas démontré dans cette affaire.

Il eut fallu, non pas s’attarder sur le fait que l’initiation au ski était l’activité principale de l’association mais plutôt apprécier la part de chiffre d’affaires que cela représentait pour les moniteurs de ski d’être sollicités par l’association.

En tout état de cause, reste entière la question de savoir s’il y a ‘relations privilégiées’ lorsqu’une association fait appel aux services commerciaux de l’un de ses membres pour la poursuite de ses activités accessoires.

En somme, cet arrêt du Conseil d’État crée une présomption inquiétante pour toutes les associations qui font appel, pour la réalisation de leur objet, à leurs membres lesquels sont par ailleurs des professionnels.

Réf. CE, 9e et 10e ch., 17 oct. 2022, n° 453019, Club des Piou-Piou de Valmorel c/ ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Lucille COULON

 

[1] Conseil d’Etat, 8 / 9 SSR, du 20 juillet 1988, 54160, mentionné aux tables du recueil Lebon, Association FRANCE-UNION c/ Ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et du budget.

[2] Conseil d’Etat, Plénière, du 20 juillet 1990, 84846, publié au recueil Lebon, Association pour l’Action Sociale de la Charente-Maritime c/ ministre de l’économie, des finances et du budget ; Conseil d’Etat, 9 / 8 SSR, du 6 novembre 1995, 153024, inédit au recueil Lebon, Service médical industriel de la Mayenne c/ ministre de l’économie, des finances et du plan

[3] Conseil d’Etat, 7/8/9 SSR, du 27 novembre 1987, 47042 47043, publié au recueil Lebon, Syndicat des industriels fabricants de pâtes alimentaires c/ ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget

[4] BOI-IS-CHAMP-10-50-10-30, §100

[5] BOI-IS-CHAMP-10-50-10-30, §110