Loi Sempastous : une loi ne tenant pas compte des enjeux de la profession

Trop de grandes exploitations et trop d’investisseurs étrangers sont les principaux arguments mis en avant pour justifier de la promulgation de la nouvelle loi SAFER en date du 24 décembre 2021. Pourtant, le Diagnostic complet de l’agriculture française publié par le ministère de l’Agriculture et exigé par Bruxelles dans le cadre de la nouvelle PAC 2023, nous indique que la France se classe avant dernière en termes de taux de concentration des terres agricoles au sein de l’Union Européenne… Cette nouvelle loi, dont la justification se fonde uniquement sur des situations et des opérations isolées, va avoir pour effet de pénaliser l’ensemble de la profession, tel que nous allons le voir ci-après :

Contexte

Jusqu’à aujourd’hui, la SAFER pouvait uniquement préempter les cessions de titres de sociétés agricoles portant sur 100 % du capital social. Les cessions partielles de titres continuaient donc à échapper au droit de préemption. Après plusieurs tentatives législatives, ayant vocation à permettre à la SAFER de pouvoir préempter des cessions partielles, systématiquement mises à mal par le Conseil Constitutionnel, une proposition de loi « portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires » fut présentée devant l’Assemblée Nationale.

Cette nouvelle loi s’appliquera aux opérations portant sur les titres de sociétés agricoles dont la date de réalisation est postérieure de plus d’un mois à la date d’entrée en vigueur de l’arrêté fixant le seuil d’agrandissement significatif applicable dans la région concernée, conformément au décret d’application n°2022-1515 du 2 décembre 2022 publié en date du 4 décembre 2022.

Un nouveau mécanisme de contrôle des cessions de titres de sociétés agricoles

La loi et le décret d’application prévoient, pour les opérations concernées, l’obligation d’obtenir une autorisation préfectorale préalable, délivrée au vu d’un avis rendu par la SAFER. Ainsi, une demande d’autorisation décrivant l’opération devra être adressée à la SAFER qui instruira le dossier pour le compte du préfet (moyennant un coût forfaitaire de 300 €).

Le délai d’instruction est fixé à deux mois. L’absence de transmission de l’avis au préfet dans un délai de deux mois valant avis favorable tacite. Dans un délai de 4 mois minimum à compter de la date d’accusé de réception de la demande adressée initialement à la SAFER, le préfet sera en mesure :

  • D’interdire l’opération ;
  • De l’autoriser ;
  • De la conditionner notamment, à la vente par le bénéficiaire d’une partie de son foncier ou à sa mise en location par bail à long terme.

Champs d’application de la loi

Seront concernées, toutes les opérations sur titres de sociétés (notamment sans que cette liste soit exhaustive, cession, fusion, augmentation ou réduction de capital), qui auront pour effet d’en transférer le contrôle, au sens du nouvel article L.333-2, IV du Code rural et de la pêche maritime.

Néanmoins, seules les opérations ayant pour effet de concentrer entre les mains d’une même personne l’exploitation ou la propriété de terres agricole au-delà d’un certain seuil, qualifié « d’agrandissement significatif », seront soumises à autorisation. Ce seuil sera fixé par arrêté préfectoral et sera compris entre 1,5 et 3 fois la surface agricole utile régionale (SAUR) moyenne. Pour apprécier le dépassement de ce seuil, il faudra prendre en compte la surface totale exploitée ou détenue par le bénéficiaire de l’opération après réalisation de celle-ci.

En outre, certaines opérations échapperont à ce contrôle et ce, peu importe les surfaces en jeu. Il s’agit notamment :

  • des opérations réalisées par les SAFER ;
  • des opérations réalisées à titre gratuit (donation ou succession) ;
  • des opérations réalisées entre époux, partenaires de pacte civil de solidarité, parents et alliés jusqu’au 4e degré inclus ainsi qu’entre associés, sous condition de détention et de conservation des titres et d’exploitation effective.

Conclusions sur la nouvelle Loi Sempastous

En définitive, cette nouvelle loi, qui aura pour principale conséquence de démultiplier les contraintes auxquelles les exploitants devront faire face le jour où ils seront amenés à céder leurs exploitations (complexification des dossiers au vu de la lourdeur administrative générée par les textes, ralentissement de la réalisation des opérations, manque de visibilité, coût supplémentaire généré par les demandes d’autorisation), ne répond pas aux principaux enjeux de la profession, à savoir :

  • accompagner les départs en retraite de toute une génération d’exploitants ;
  • permettre à de jeunes agriculteurs de s’installer sur des exploitations viables économiquement.

A l’heure du papy-boom et dans un contexte agricole en crise, la réduction des exploitations en France est inéluctable. Les enjeux et les efforts de nos instances représentatives ne sont donc pas de stabiliser les surfaces exploitées par chaque exploitant mais bel et bien de faire en sorte de conserver des exploitants disposant de capitaux suffisants et de conditions de vie acceptables.

Il est toutefois important de noter que la loi et le décret d’application laissent entrevoir des situations dans lesquelles les exploitants ne seraient pas soumis à autorisation préalable. Toute l’équipe du département Terre & Vigne est bien entendu à votre disposition pour vous accompagner et vous assister dans vos projets de cession et de transmission de vos exploitations.

Par Lucie Delaire, Avocat Associé